Une année à la maison d’arrêt de Douai : l’expo photo que vous ne verrez pas.

Après m’être rendu pendant près d’un an à la maison d’arrêt de Douai et offert près de 16 séances d’ateliers photographiques, arrive bientôt le jour de la restitution des travaux réalisés par 20 détenus avec l’aide de l’équipe soignante de l’Unité Sanitaire en Milieu Pénitentiaire (USMP) du centre hospitalier de Douai. Cette conclusion prendra la forme d’une exposition intra-muros uniquement accessible (pour des raisons évidentes) aux détenus et au personnel de l’administration pénitentiaire et judiciaire.


“Regard(s) sur soi”, le postulat de départ.

La privation de liberté produit un ensemble d'effets, dont la perte de la motivation, la dégradation de l'estime et de l'image de soi.

L'estime et l'image de soi sont particulièrement affectées par le vécu carcéral (perte d'autonomie, de contrôle et de choix, soumission au personnel, etc.)

Ce constat que connait bien l’équipe soignante de l’USMP de Douai est à l’origine du projet photographique axé sur le portrait mis en place début 2023.


Atelier photographique : les objectifs.

Cultiver l'estime de soi et la confiance intérieure constitue une quête délicate, une réaffirmation bienveillante du moi. Il s'agit également de considérer attentivement l'image réfléchie par la personne détenue, de lui offrir une occasion de réévaluer et de revaloriser sa propre identité. Au cœur de cette démarche, se trouve le travail délicat sur la perception intime que la personne détenue entretient envers elle-même.

Par ailleurs, l'acquisition de compétences en photographie se présente comme une voie créative et émancipatrice. Elle offre une occasion de développement artistique. À travers cette pratique, se dessine un chemin vers une confiance renouvelée, une amélioration de la présentation personnelle, et parfois même, l'émergence d'un nouvel intérêt éclairé pour la photographie.


Déroulement des sessions : regard sur soi et regard des autres.

Chaque session proposée a été ouverte à 6 participants maximum sur la base du volontariat mais après une sélection des profils par l’équipe de psychologues de l’USMP. Les participants s’engageaient alors à aller au bout des 4 séances. Le but présenté lors de la première séance était simple : chaque détenu allait jouer à tour de rôle celui de photographe et celui de modèle afin d’obtenir son propre portrait dont il serait assez fier pour accepter d’être exposé au regard des autres. Après avoir acquis quelques notions de bases en prise de vue et de placement de lumière lors de cette première rencontre, les deuxième et troisième séances étaient exclusivement réservées à la pratique. Restait alors à choisir pour chacun son portrait préféré lequel allait être tiré en 30x40 cm et utilisé pour l’exposition. Bien entendu, jusqu’au bout chaque participant avait la possibilité de refuser mais jusqu’ici aucun ne l’a fait.


Regard(s) sur soi : premier bilan.

Comme stipulé ci-dessus, aucun participant n’a refusé de présenter son travail pour l’exposition à venir. Et pourtant certains d’entres eux s’étaient pourtant montrés réticents à la première séance car, comme beaucoup de gens au final, ne se trouvaient pas photogéniques. La bonne excuse pour ne pas dire qu’ils n’avaient pas confiance en eux.

De mon point de vue de photographe, les portraits noirs et blancs issus de ces travaux surpassent même la qualité proposée par certains photographes “pros”. Je suis même persuadé que la première impression des personnes qui verront ces cliché penseront que ce ne sont pas les détenus qui les ont faits. Et pourtant si ! D’ailleurs aucune image n’a été retouchée ! J’ai de mon côté simplement recadré en post production et optimisé pour un tirage noir et blanc.

Du point de vue de l’équipe soignante, les résultats ne se sont pas faits attendre avec notamment de nombreux profils introvertis qui ont commencé à s’ouvrir à eux. D’ailleurs il suffisait d’être dans la salle dédiée à cet atelier pour constater au cours des séances que les tapements de pieds ou les bras croisés et regards bas dans le fond de la chaise disparaissaient au fur et à mesure.


Bientôt la conclusion

C’est donc dans quelques jours que le travail sera réellement achevé car non seulement les élèves encore présents devront présenter et défendre leur travail à d’autres détenus mais aussi à des personnes des administrations pénitentiaires et judiciaires lors de cette exposition.

Affaire à suivre, mais c’est bien parti…

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Une photo en noir et blanc n’est pas une photo désaturée…

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