Prendre le temps de photographier avec le Yashica-mat (et améliorer sa pratique)


Il est tentant à l’ère de numérique de multiplier les clichés. Combien d’images gardez-vous de vos séances photographiques ? La moitié ? Un quart ?

Une fois éliminés les doublons et les photos sans intérêt il ne reste souvent pas grand chose. Mais au moins on a “sécurisé”. Alors bien sûr, en numérique cela ne coûte rien si ce n’est un temps infini à trier la ou les centaines d’images pour ne garder que les meilleures.

Imaginez maintenant n’avoir qu’un appareil argentique entre les mains où chaque appui sur le déclencheur compte ? Pire encore s’il s’agit d’un appareil moyen format de type TLR (Twin Lens Reflex) avec lequel un rouleau de film vous donnera - si tout va bien - 12 images.

Retour aux sources avec le Yashica-mat

Yashica-mat

Voilà la bête, dénichée sur le bon coin. Date de naissance : plus ou moins 1957


Alors certes, pour ceux qui connaissent, c’est moins prestigieux qu’un Rolleiflex mais sur le marché de l’occasion actuel, la différence énorme de prix n’est absolument pas justifiée. Avec cette marque japonaise, la qualité est au rendez-vous et l’appareil a très bien supporté le poids des années.


Les caractéristiques : l’essentiel et rien que l’essentiel !

  • Appareil moyen format acceptant les rouleaux de 120.

  • Twin Lens Reflex (TLR) : un objectif qui prend la photo, et un objectif de même focale qui sert uniquement à la visée.

  • Une manivelle d’avancement du film

  • Une molette pour le choix de l’ouverture (f3,5 à f22) et une autre pour le choix de la vitesse (1 sec à 1/500ème + mode B)

  • Une molette de mise au point

  • Une prise synchro flash

  • Un verre dépoli qui affiche l’image (inversée) pour la visée par le dessus et une petite loupe pour aider à la mise au point

  • Un déclencheur (+ retardateur possible !)

ET C’EST TOUT !


Vous pouvez oubliez l’autofocus, les modes automatiques ou semi-automatiques, les prises de vue en rafale et surtout la mesure d’exposition !

C’est probablement ce dernier point qui fait le plus peur ! En effet, ce modèle ne dispose pas de cellule permettant de mesurer la lumière réfléchie et donc de régler son triangle d’exposition. Il va falloir le faire avec d’autres méthodes.


Alors ça on oublie !

Si absolument tous les appareils numériques permettent d’évaluer la lumière réfléchie de la scène grâce à une cellule (ou posemètre intégré), il n’en est pas question avec le Yashica-mat


Retour aux sources numéro 1 : mesurer la lumière.

La quantité de lumière disponible va permettre d’ajuster son triangle d’exposition à savoir ISO/ouverture/vitesse d’obturation. Sauf que !
Ici les ISO sont fixes et déterminés par le film que vous avez chargé dans l’appareil et vous ne pourrez pas en changer avant la fin du rouleau.
On ne va alors pouvoir jouer que sur l’ouverture et la vitesse d’obturation pour correctement exposer sa photo en fonction de la lumière disponible. Encore faut-il pouvoir la déterminer cette lumière !

Méthode 1 : l’empirique règle du “sunny 16”

Aucun appareillage nécessaire, juste vos yeux ! Cette règle dit qu’en plein soleil et sans aucun voile nuageux pour une sensibilité donnée, la vitesse sera de 1/(valeur ISO) seconde et l’ouverture de f16. Concrètement avec une pellicule de 100 ISO on aura donc un couple 1/100s et f16, avec une pellicule de 200 ISO un couple 1/200s et f16 etc.

(En réalité, il faudra régler sa vitesse à 1/125s, 1/250s etc. qui sont les vitesses réellement disponibles sur les boitiers argentiques)

Et si on n’est pas en plein soleil ? Et bien on fait entrer plus de lumière soit en ouvrant le diaphragme, soit en diminuant la vitesse !


Exemple avec une pellicule 100 ISO

A vitesse constante on va ouvrir plus grand à mesure que la luminosité baisse, ou alors diminuer sa vitesse d’obturation mais le trépied risque vite de devenir indispensable.


Est-ce que ça marche ? Et bien franchement oui dans la majorité des cas ! D’ailleurs vous pouvez expérimenter avec votre appareil numérique : choisissez une valeur ISO, bloquez la vitesse par rapport à celle-ci et déterminez votre ouverture par rapport à ce que vous voyez.


Ci dessus, la première photo montre l’appareil posé sur son trépied. La seconde le résultat final. Le film chargé n’a qu’une sensibilité de 50 ISO (Ilford pan F plus) et donc pour capturer l’ile Louet et le château du Taureau à Carantec par temps brumeux tout en gardant une profondeur de champ suffisante, la règle du sunny 16 m’aurait imposé 1/60sec et f/5,6. J’ai préféré le couple 1/15sec et f/11


Méthode 2 : le posemètre ou la cellule à main.

Ici il est question de faire une mesure précise de la lumière et ne plus la faire “au doigt mouillé”. Pour cela j’utilise mon flashmètre/posemètre Sekonic qui restait en général confiné à ma pratique de portrait en studio.


posemètre/flashmetre sekonic

L’accessoire indispensable

Ce type de posemètre/flashmètre permet une mesure en lumière incidente (celle qui arrive sur le sujet) ou en lumière réfléchie (comme les cellules intégrées dans tous les appareils photos numériques).


Lumière incidente ou réfléchie ? Et bien cela dépend du sujet. Si celui-ci est assez proche, comme dans le cas d’un portrait, la mesure en lumière incidente (comme en pratique de studio) sera recommandée. Mais dans le cas d’un paysage, la mesure en lumière réfléchie sera plus appropriée.

Les choses se compliquent tout de même lorsque la scène est très contrastée comme par exemple par temps ensoleillé et à contre-jour. J’expose plutôt pour les ombres ou les hautes lumières ? C’est un choix qu’il faudra faire mais surtout il faudra apprendre à lire la scène pour réussir à trouver le meilleur compromis et garder le plus de détails possibles. Pour cela je ne saurais que trop vous conseiller de vous intéresser au fameux “Zone System” d’Ansel Adams. Un très bon article ici

Quel rapport ? Et bien avez-vous déjà pris un mur tout blanc en plein soleil avec calcul automatique de l’exposition ? Faites la même chose avec ce même mur dans la pénombre. Et bien dans les deux cas, le mur apparaitra gris. Toutes les mesures d’exposition se base sur le gris moyen, celui que l’on retrouve sur les chartes photographiques.

Cela veut dire que dans l’idéal, il faut trouver dans notre scène un objet dont la luminosité équivaut à ce fameux gris 18% et faire la mesure de lumière réfléchie dessus.

Pas évident me direz-vous et vous avez raison ! D’où l’intérêt de savoir lire la scène ! Si on en revient au fameux mur blanc en plein soleil, et que l’on souhaite qu’il ressorte blanc tout en gardant les détails, en reprenant le tableau ci-dessus on peut lire “Diaph +2” : on va devoir “surexposer” de 2 diaphragme pour obtenir ce blanc et non pas un gris neutre.


phare de pontusval

Kodak portra 400, phare de Pontusval (Finistère)

En mesurant la lumière réfléchie sur le phare blanc, le posemètre m’aurait proposé pour mon film 400 ISO, un couple vitesse/ouverture de 1/500s et f/8. J’aurais obtenu un phare gris. En compensant l’exposition de +2IL (par exemple 1/125s et toujours f/8), j’obtiens mon phare blanc.


ASTUCE ! Sur la photo ci-dessus, le phare était trop loin pour que je mesure précisément la lumière réfléchie sur celui-ci. Alors j’ai mesuré sur la paume de ma main. En effet, le soleil qui éclaire le phare éclaire ma main de la même manière. Et la paume de ma main, comme toutes les paumes de main du monde, correspond sur l’échelle du zone system à un gris clair soit à +1IL. La mesure sur la paume me donne un couple 1/250s pour f/8 je règle donc à 1/125s et f/8.

Attention cette astuce n’est valable uniquement si les conditions de lumière sont identiques entre la scène photographiée et votre position. Si vous êtes à l’ombre d’un arbre par exemple et que la scène photographiée est en plein soleil cela ne marche plus.


contre jour

Faire les bons choix de mesure

Ici une mesure sur les murs à l’intérieur de la bâtisse les aurait fait apparaitre bien plus lumineux qu’ici tout en “cramant” le paysage derrière la fenêtre. Et une mesure sur le paysage aurait assombri encore plus l’intérieur de cette maison bouchant complètement les ombres. Une légère surexposition basée sur la mesure de lumière réfléchie par le paysage extérieur permet de lui garder ses détails tout en en faisant apparaitre quelques-uns dans les ombres.


Retour aux sources numéro 2 : composer son image.

Il est évident qu’avec 12 poses par film et vu le prix devenu démentiel des rouleaux de négatif, on réfléchit à deux fois avant d’appuyer sur le déclencheur. Alors forcément on prête plus attention à la composition de l’image. Si l’on souhaite un horizon droit, cela se fait dès la prise de vue et pas après sur l’ordinateur.

Les choses se compliquent même quand on se rend compte que l’image que l’on voit sur le dépoli est inversée : la droite se retrouve à gauche et la gauche se retrouve à droite. Autant dire que les premières manipulations sont assez déstabilisantes et alors qu’on était habitué à prendre une photo en quelques secondes, le processus prend désormais beaucoup plus de temps.


ce qu'on voit dans le dépoli

La visée avec un TLR

Appareil en main à hauteur du torse, la visée se fait par le dessus. L’image qui apparait est inversée si bien qu’au début on perd ses repères : lorsqu’on tourne l’appareil vers la gauche, l’image semble se décaler à droite et inversement.


Le format carré (1:1) imposé, même si il est revenu à la mode avec Instagram, n’est pas forcément des plus simple à appréhender notamment en paysage où on à l’habitude des formats 2/3 ou 16/9. Ici le premier plan va prendre une place plus importante.


phare de l'ile de Batz

Kodak portra 400, ile de Batz (Finistère)

Sur un ciel certes bleu mais sans grand intérêt, pas d’autre choix que d’avoir un premier plan qui prend de la place avec ce genre de format.


Retour aux sources numéro 3 : profondeur de champ et mise au point

Nous venons de voir précédemment que le format carré imposait une composition où le premier plan tient une place importante. À ouverture équivalente, la profondeur de champ obtenue avec un moyen format est bien plus faible qu’avec un plein format et cela parce que contrairement à ce que leurs noms indiquent, le moyen format est bien plus grand que le plein format.

Par exemple avec un objectif 80mm ouvert à f/8 à 3m du sujet avec un appareil plein format, la zone de netteté est d’environ 70 cm. Avec un moyen format, elle n’est plus que de 40 cm.


120 vs 135mm

Logique ?

Ce qu’on appelle le plein format correspond en réalité aux pellicules 135 (24x36) pourtant plus petites que les films 120 dits moyen format

Rendre son sujet net devient une tache compliquée surtout si l’on est obligé d’utiliser des grandes ouvertures. Et le moindre mouvement entre la phase de mise au point et l’appui sur le déclencheur peut ruiner la photo.


Premier rouleau (Kodak Tri X) et premiers essais moyennement concluants : on voit sur la première photo que la profondeur de champ est vraiment très faible pour autant le sujet est net. Dans la seconde il ne l’est pas probablement car j’ai légèrement reculé avant d’appuyer sur le déclencheur.


Alors oui on peut fermer le diaphragme pour augmenter la profondeur de champ mais ce sera au détriment de la vitesse d’obturation (je rappelle qu’on ne peut pas tricher en augmentant les ISO). Si c’est envisageable pour de la photo de paysage avec l’appareil posé sur trépied, cela devient périlleux voir impossible avec des sujets “mobiles”.

Conclusion

Pourquoi s’imposer tant de contraintes au final ?

L’utilisation de ce genre d’appareil photo - c’est vrai d’ailleurs pour tout appareil argentique - mais encore plus quand il ne dispose pas de posemètre intégré nous oblige à prendre le temps d’analyser la scène, de faire des choix et de ne pas s’en remettre à ceux faits par les modes automatiques et semi-automatiques de nos appareils récents. De plus les choix que l’on a fait ne seront en plus évalués qu’une fois le film développé. Cela nous impose aussi de connaitre et de comprendre parfaitement les principes de sensibilité ISO, vitesse d’obturation et ouverture et les conséquences que ces paramètres ont sur le rendu final de la photographie. En gros, une fois que l’on maitrise tout cela, des photos que l’on pensait impossibles à faire deviennent réalisables. Parfois aussi cela nous évite de passer un temps fou sur un cliché alors qu’il est tout simplement techniquement infaisable.

Le temps nécessaire à prendre ces photos les rend un peu plus spéciales que les autres quand on les découvre et l’on se dit que l’on a fait un vrai travail photographique et non pas que l’on a juste appuyé sur un bouton comme on aurait pu le faire avec n’importe quel smartphone.

Si cet article vous a plu et que vous souhaitez en apprendre plus sur les techniques photographiques, n’hésitez pas à me contacter !

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